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La Flore deux-sévriennes : diversité et enjeux

Les Deux-Sèvres abritent environ 2000 taxons, parmi lesquels environ 1500 espèces et 500 infra-taxons (sous-espèces, variétés, etc.). Cela représente près du tiers de la flore française : le territoire métropolitain compte plus de 6000 taxons décrits dont environ 5000 espèces (sources : Tela-Botanica et Flora Gallica).

Le département couvre la zone de confluence de trois unités géologiques majeures :

  • le Massif armoricain,
  • le Bassin parisien,
  • le Bassin aquitain,

Cette singularité en fait un territoire de transition, dont la diversité des milieux naturels est à l’origine de la richesse de sa flore. Sur le socle siliceux armoricain, c’est un paysage de bocage avec ses prairies naturelles, son réseau de haies et ses vallées plus ou moins encaissées. Dans les bassins sédimentaires, les paysages de grandes cultures dominent. La pointe sud-ouest du département est occupée par l’extrémité orientale du Marais-Poitevin.

Un territoire à l’histoire botanique riche (extrait de « Fougères et plantes alliées des Deux-Sèvres », 2013)

En 1836, se crée à Niort une « Société de Statistique » à laquelle vont adhérer deux érudits de La Mothe-Saint-Héray, le pasteur Pierre-Néhémie MAILLARD (1813-1883) et le médecin Jean-Charles SAUZÉ (1815-1889). Tous deux hommes de terrain, chercheurs éclectiques et botanistes passionnés, ils collaborent pour publier en 1864 un « Catalogue des plantes phanérogames qui croissent spontanément dans le département des Deux-Sèvres », puis publient en 1871, 1877 et 1880 les trois tomes d’une « Flore du département des Deux-Sèvres ».

Dans le même temps à Pamproux, un autre érudit, Baptiste SOUCHÉ (1846-1915), se passionne lui aussi pour l’étude des plantes. D’abord intéressé par l’archéologie et la préhistoire, il abandonne son métier d’instituteur pour consacrer sa vie, à partir de 1880, à la botanique. Membre de la Société botanique rochelaise, il fonde à Niort, en 1888, la « Société Botanique des Deux-Sèvres » avec une quarantaine d’autres passionnés. Après en avoir été secrétaire, il en devient le Président en 1894. Très actif, il a le souci de faire connaitre et vulgariser la flore régionale. Il anime des sorties botaniques pour les adhérents et les écoles. Comme beaucoup de naturalistes de l’époque qui consacraient leur loisirs à l’étude de la nature, il se déplace en train ou en tramway à vapeur dans le département, rédige des comptes-rendus détaillés de ses sorties dans le bulletin annuel de la Société, et échange une volumineuse correspondance avec les adhérents ou les sociétés savantes. Travailleur infatigable, il publie en 1891 la « Géographie botanique des Deux-Sèvres », puis en 1894 et 1901 une « Flore du Haut Poitou » en deux volumes. En 1905, bon nombre des 600 adhérents habitant hors Deux-Sèvres, Baptiste SOUCHÉ décide de la rebaptiser « Société Régionale de Botanique ».

Dans le bulletin de juin 1910, le botaniste René VERRIET DE LITARDIÈRE décrit un hybride d’Asplenium qu’il se fait « un agréable devoir de dédier à Baptiste SOUCHÉ ».

À la mort de Baptiste SOUCHÉ, en 1915, le rayonnement de la Société Régionale de Botanique dépasse largement les frontières du Poitou-Charentes.

René DE LITARDIÈRE (1888-1957) est, dès son plus jeune âge, initié à la botanique par son père, Charles DE LITARDIÈRE, médecin et membre de la Société Botanique de France. Durant son enfance, ils parcourent ensemble les chemins du département et les propriétés familiales autour de Mazières-en-Gâtine pour herboriser. Ses voyages (en France, en Europe et autour de la Méditerranée) et les spécimens reçus de ses correspondants lui assurent une excellente connaissance de la répartition géographique des espèces et de leur écologie. À seulement 26 ans, il est devenu un ptéridologue et un phytogéographe de renom. À partir de 1922, il réserve une part importante de son travail à des œuvres monumentales : le prodrome de la flore corse, la taxonomie du genre Festuca (dont il devient un spécialiste de réputation mondiale) et la cytosystématique. Son herbier, le plus important d’Europe, est aujourd’hui conservé au Jardin botanique de la ville de Genève depuis le don effectué en 1996, par Bernard DE LITARDIÈRE, fils du botaniste.

En mars 1931, la Société Régionale de Botanique devient la « Société Botanique du Centre Ouest » ou SBCO. Ces botanistes (la plupart sont des enseignants) ont comme parrains des anciens condisciples de Baptiste SOUCHÉ : GAMIN, DUPAIN, SIMON… Ce sont des « coureurs de bois, de landes et de plaines » qui apportent leur précieuse contribution à la connaissance de la flore du département et, comme leurs aînés, des vulgarisateurs.

Louis RALLET (1897-1969), professeur à l’Ecole normale d’instituteurs de Parthenay, est un animateur dynamique qui initie de nombreux instituteurs à la botanique.

Emile CONTRÉ (1916-1981) est un instituteur solitaire, inlassable découvreur de sites et de plantes. À son décès, ses amis n’ont pas pu déchiffrer les notes manuscrites de ses carnets de terrain, aujourd’hui conservées au CBN Sud-Atlantique. Ses contributions ont pourtant très largement contribué à la « Flore et végétation du Massif armoricain » publiée en 1971 sous la direction de Henry des ABBAYES. Ce précieux ouvrage (réédité en 2012) reprend pour la partie armoricaine des Deux-Sèvres les mentions correspondantes des flores de SOUCHÉ et de différents botanistes.

Paul BIGET (1909-1992), instituteur itinérant chargé de l’enseignement agricole, anime des sorties mycologiques dans les Deux-Sèvres. Il est, à 27 ans, le trésorier de la SBCO et participe à deux ouvrages publiés par cette Société : « Catalogue des Muscinées des Deux-Sèvres » (1966), et « Contribution à l’étude de la bryoflore du département de la Vienne » (1973).

Gaston BONNIN (1911-2000) se passionne pour la botanique dès son arrivée à l’Ecole normale de Parthenay où il est l’élève de Louis RALLET. Instituteur, fondateur en 1969 de l’Association départementale de protection de la nature (ASNATE) dont il sera le secrétaire de 1972 à 1991, il crée le Cercle des Naturalistes ; l’ASNATE deviendra par la suite « Deux-Sèvres Nature Environnement ». Éminent botaniste, naturaliste éclectique, pédagogue infatigable, il devient le lien entre les anciens et la nouvelle génération. Il anime de nombreuses sorties et en rédige les comptes-rendus détaillés pour le bulletin. Il consacre sa vie au partage de son savoir qu’il enrichira et adaptera à l’évolution des connaissances scientifiques. Interlocuteur privilégié des journalistes, il est de tous les combats pour la défense des milieux naturels. Il n’a pas signé d’ouvrages mais a laissé de nombreux articles, des carnets naturalistes, des études de terrain sur l’ensemble du département et un herbier commencé à l’âge de 15 ans.

 

Depuis 150 ans, chacun de ces botanistes a apporté une contribution inestimable à la connaissance de la végétation du département. Ils ont produit de nombreux articles dans les bulletins de la Société Botanique et de l’ASNATE ou ont été des spécialistes dont les publications ont dépassé les limites de notre département (René DE LITARDIÈRE). Certains ont laissé des herbiers, témoins d’une flore parfois disparue.

Quelques plantes emblématiques du département

La Gagée de Bohème (Gagea bohemica), joyau de nos affleurements rocheux

Sa grande rareté et la disparition de ses biotopes lui valent d’être protégée dans toute l’Europe. Elle est rare dans la moitié Ouest de la France, cantonnée à des affleurements rocheux sur quelques départements (Deux-Sèvres et Maine-et-Loire principalement ; très localisée en Loire-Atlantique, Indre-et-Loire et Vienne). C’est une des curiosités floristiques des vallées du nord des Deux-Sèvres : vallée du Thouet et ses affluents (1200 fleurs en vallée du Pressoir en 2019), vallée de l’Argenton et ses affluents. Elle y fleurit dès janvier-février.

Des recherches récentes sur le sol des populations deux-sévriennes de gagée, réalisées par Mathieu Boullant, ont apporté des connaissances nouvelles sur les besoins en calcium de cette espèce plutôt acidiphile (Boullant M., 2012 – Caractérisation des exigences édaphiques de Gagea bohemica (Zauschner) Schultes et Schultes Fil. dans les vallées de la marge sud-orientale du Massif armoricain (Deux-Sèvres). Le Monde des Plantes 509 : 24-32).

Photo ©M.Boullant pour DSNE

La Sabline des chaumes (Arenaria controversa), préservée en limite d’aire de répartition

C’est en 1993 que Gaston Bonnin découvre cette espèce en marge du poste électrique de Granzay-Gript. Depuis, DSNE le CEN et RTE collaborent pour préserver cette population et l’ensemble des pelouses calcaires en marge du poste électrique. Assez localisée en France, cette espèce est protégée.

Photo ©Y.Maufras pour DSNE

La Doradille de Souché (Asplenium x souchei), une fougère très rare et chargée d’histoire

La ptéridoflore deux-sévrienne comprend deux espèces des fissures rocheuses menacées en Poitou-Charentes :

  • la Doradille du Nord (Asplenium septentrionale), fougère montagnarde très éparse sur le massif armoricain ;
  • la Doradille de Billot (Asplenium obovatum billotii), fougère armoricaine très éparse ailleurs en France.

En Deux-Sèvres se trouvent quelques-uns des rares sites où les deux espèces cohabitent… et peuvent s’hybrider. Cet hybride a été décrit en 1910 par René de Litardière, d’après des spécimens récoltés sur un haut lieu de la botanique en sud Deux-Sèvres par Baptiste Souché, à qui René de Litardière l’a dédié.

Jusqu’à la fin du XXème siècle, cet hybride n’avait été signalé qu’en deux autres localités en France (Aveyron, Hérault).

Dans l’élan de l’atlas des « fougères et plantes alliées » publié par DSNE début 2013, Michel Bonnessée a réalisé des prospections ciblées, à la recherche de cet hybride sur des sites hébergeant les deux parents. Avec succès : 2 pieds ont été découverts le 15 mai 2013 le long de l’Argenton (leur identité a été confirmée par des analyses génétiques).

Photo ©M.Bonnessée pour DSNE

La Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris), marqueur des prairies naturelles humides

Les Deux-Sèvres constituent l’un des bastions de cette plante qui n’échappe pas au regard des promeneurs à la sortie de l’hiver. On l’observe dans les prairies naturelles n’ayant pas subi d’apports d’engrais qu’elle ne supporte pas. Elle affectionne aussi les sous-bois frais, qui constituent peut-être son biotope originel.

Photo ©L.Debordes pour DSNE

La Renoncule à fleurs de lierre (Ranunculus hederaceus), témoin du pâturage bovin traditionnel de Gâtine

Cette espèce patrimoniale est présente sur le Massif armoricain et le Massif central. On l’observe sur les marges des mares où le détail s’abreuve librement : parfait exemple d’un patrimoine floristique intimement lié à l’élevage en Deux-Sèvres. Elle se développe notamment dans les trouées de pieds de vache en pourtour de mares ; ces perturbations des abords des mares sont favorables à son développement.

Photo ©S.Barbier pour DSNE

Milieux à enjeux floristiques du département 

Les habitats hébergeant le plus d’enjeux floristiques (espèces rares et/ou menacées) en Deux-Sèvres sont :

  • les pelouses calcaires, persistantes surtout où la pente trop forte a empêché la mise en culture, mais menacés par la déprise ;
  • les zones humides exemptes d’apport d’engrais – en particulier les marais du Mellois et les prairies paratourbeuses de Gâtine –, milieux menacés par la déprise ou l’assèchement.
  • Les pelouses et affleurements rocheux des vallées encaissées sur les marges du Massif armoricain : vallées de l’Argenton et ses affluents, du Pressoir, du Puits d’Enfer, du Magnerolles, etc.
  • certains étangs très anciens du nord Deux-Sèvres

Venez découvrir la diversité floristique de ces sites lors des animations gratuites organisées par DSNE et ses partenaires (en particulier le Conservatoire d’Espaces Naturels).